IN THE FIELD  
Maintenance Magazine 142 – décembre 2018

Surveillance à distance, surveillance conditionnelle, digitalisation, analyse de données…

« Début décembre, deux collègues partiront à Singapour pour la livraison finale d’une grue flottante semi-submersible », déclare Alain Naets, directeur de PRUFTECHNIK N.V. au port d’Anvers. L’engin gigantesque, et ses entraînements, treuils, arbres et réducteurs planétaires, est équipé de capteurs qui surveillent, mesurent et analysent localement le schéma des vibrations. Les données traitées seront envoyées au ‘diagnostic center’ à Anvers qui fera rapport au client. « En cas d’irrégularité ou de changement, nous interviendrons à distance. »

PRUFTECHNIK N.V. a conçu un tableau de bord qui applique des paramètres simples pour suivre l’état général de telles machines. Chaque mesure affiche trois domaines fréquentiels : bas, moyen et élevé. Il s’agit d’une part de la vitesse vibratoire en mm/sec RMS (directives ISO). Vient ensuite la valeur d’accélération large bande pour les paramètres de haute et moyenne fréquence (imbrication des engrenages) et une ‘mesure d’enveloppe’ haute fréquence qui fournit de l’information sur l’état du roulement. « Nous suivons les tendances. Lors de ‘changements’, nous zoomons les spectres et les signaux horaires pour rechercher la cause de l’erreur an niveau du composant. »

Les résultats de mesure sont moins ambigus qu’il n’y paraît. Ce type de machines ne tourne pas en continu à la même vitesse, au contraire. Elles soulèvent diverses charges et connaissent donc d’autres charges prélevées à des vitesses différentes. « Voilà pourquoi il faut normaliser vos mesures », explique Alain Naerts en parlant d’‘état de fonctionnement’. « Il peut s’agir d’une combinaison entre la vitesse et la charge. Nous regroupons nos données autour d’états pour obtenir des données fiables. Plusieurs techniques peuvent détecter des tendances représentatives en cas de fortes variations. »

Modèle cinématique

« Quand le tableau de bord indique un problème, nous allons plus en détail et réalisons des analyses de signaux. » Pour cela, il faut disposer d’un modèle informatique cinématique de la machine qui inclut les composants mécaniques (roulements, engrenages, arbres, …). Il faut aussi savoir dans quel domaine de fréquence regarder. « On tient compte des états de fonctionnement. Ensuite, on peut déterminer les mesures à effectuer (signaux horaires, spectres, …) pour identifier le problème. » Mais ces modèles ne sont souvent pas parfaits, constate Alain Naets. Et il n’est pas évident de placer des capteurs aux endroits ‘idéaux’.

De tels modèles (on peut presque parler de jumeaux numériques) prescrivent les mesures aux entrées et aux sorties pour reconnaître les différences, la corrélation. « Dans certains endroits, placer des accéléromètres pose problème. Si on ne peut pas accéder à tous les points de mesure, l’information sera insuffisante. » On peut trouver de l’aide en combinant des techniques, comme une analyse vibratoire et des analyses de données qui reposent sur une multitude de paramètres. « L’analyse de données permet de retrouver des patrons significatifs. »

L’analyse classique, le couplage de techniques novatrices à l’analyse de données et à l’intelligence artificielle, devrait offrir une plus grande précision. Un scientifique de données se penche sur les algorithmes (régression, clustering, déviation, …) qui sont ensuite appliqués à la machine. « Pour cela, il faut bien connaître la machine. C’est relativement simple avec des machines simples. Mais en cas de complexité, c’est…. ‘heavy’. Il faut disposer d’énormément de données si vous voulez ‘former’ le moteur d’analyse à créer un système d’apprentissage qui vous oriente dans la bonne direction au fil du temps. « En réalité, nous avons trop peu de données pour appeler le système ‘AI’. » Les machines ne sont pas assez défaillantes que pour en apprendre plus. En soi, ce n’est pas un mal, mais on n’apprend pas grand-chose.

Grand et petit

Chaque type de machine exige une approche différente. Dans le cas de machines complexes (boîtes d’engrenages, compresseurs, …), le degré de difficulté augmente et exige des techniques plus complexes. Toutefois, plusieurs développements et technologies interfèrent (processeurs plus rapides, internet plus rapide, …) et créent des conditions préalables pour réaliser de nouvelles analyses de données sur un grand nombre de paramètres.

« Combiner l’analyse de données à l’analyse ‘classique’ pour détecter très tôt les dommages à la machine est relativement nouveau », continue Alain Naets. « Et les résultats sont meilleurs que prévu. On a ainsi trouvé des anomalies auxquelles on ne pensait même pas. Certaines corrélations n’avaient pas été perçues plus tôt. On ne savait même pas qu’il pouvait y avoir quelque chose ‘là’. » L’entreprise a ainsi pu détecter dans un propulseur de pipelines des signaux de dommages d’engrenage… « Nous n’aurions jamais trouvé cela avec une analyse classique. Cela exige une bonne implémentation. »

Bien que PRUFTECHNIK se consacre généralement à des machines plus grandes et plus complexes avec des variations, comme les ‘aero derivatives’, les turbines au gaz d’avions déployées à bord d’installations offshore, l’entreprise suit aussi les applications sur des machines plus petites qui s’avèrent cruciales aux processus de production. « Un géant pharmaceutique américain utilise par exemple nos systèmes pour surveiller des petites machines qui, en cas de défaillance, peuvent causer des dommages importants. Comme les soufflantes de circulation aux fours de stérilisation. Si les moteurs d’à peine 500 W viennent à défaillir et qu’un dégagement de fumée se produit, c’est toute la production en salle blanche qui est à l’arrêt. »

Les systèmes de surveillance nécessitent aussi une maintenance

Les capteurs doivent être choisis pertinemment. La bande de fréquence mesurée doit correspondre au modèle cinématique. Le capteur doit être capable de gérer une amplitude de signal accrue en cas de dommage à la machine. « Bien souvent, on choisit les mauvais capteurs » souligne Alain Naets. « Lors de certains dommages, les capteurs sont submergés par des amplitudes de signaux trop élevées qu’ils ne peuvent plus mesurer correctement. » La sensibilité et la plage de fréquence doivent bien être choisies. Il faut aussi accorder de l’attention aux conditions ambiantes. Si une machine monte à 150°C ou est immergée dans l’eau, le capteur doit pouvoir le tolérer. Les matériaux du capteur doivent être adaptés à l’environnement dans lequel il se trouve.

Les capteurs ne suffisent pas. Les données qu’ils délivrent doivent être traitées intelligemment. L’intelligence sur site est importante. Tout est un travail sur mesure ? « Finalement, ce sont toujours les mêmes systèmes de mesure qu’il faut configurer. Et cette configuration est du sur mesure ». Une fois implémentée, l’histoire commence. « Après l’installation, nous laissons tourner le système. Six mois après la mise en service, lorsqu’il y a plus de données, il se peut que nous ajustions les paramètres de mesure et les adaptions à la réalité. Parfois, il faut étendre le spectre de 800 à 1.600 lignes et régler le système. »

Pour les projets plus importants avec des machines complexes, ce réglage est prévu dès le départ dans l’enveloppe de prix totale. « Vous ne pouvez pas l’ignorer. Supposons que la précision diminue parce que le système n’est pas correctement configuré. Un système qui ne fonctionne pas n’a pas la confiance de l’utilisateur qui s’en détourne. Il faut une bonne implémentation pour obtenir des résultats. » Les systèmes de surveillance exigent de la maintenance, un calibrage et des mises à jour logicielles.

Hosting

« C’est le cas lorsque nous hébergeons le client », continue Alain Naets. Physiquement, cela a lieu notamment sur des serveurs loués au rez-de-chaussée du Flanders DataCenter. Jadis, l’acceptation était faible mais le client opte de plus en plus souvent pour un système d’hébergement central. Il dispose d’un accès et garde le contrôle mais n’a plus à se soucier du logiciel. Cette approche neutralise également les goulots d’étranglement éventuels au propre service IT. « Nous sommes responsables du VPN, des pare-feux, des mises à jour, … C’est plus efficace. Les clients veulent des résultats. Ces applications (les clients qui optent pour un tableau de bord et un logiciel d’analyse hébergé) ont plus que doublé ces dernières années. »

PRUFTECHNIK N.V. connecte les nouveaux systèmes en ligne via une boîte de jonction sur laquelle le câblage des capteurs est raccordé. « On ne peut pas installer le sans fil partout. Il y a beaucoup de métal dans un bateau et cela peut compliquer la transmission des signaux. Lors de mesures sur des machines où il y a de la variabilité, les batteries s’épuisent rapidement. Certaines applications se prêtent à une solution sans fil, d’autres pas. »

« Toute la chaîne doit être cohérente » souligne Alain Naets. « C’est notre expertise. » Dans l’avenir, il perçoit plus d’analyses de données, de surveillance à distance et d’automatisation de l’analyse préalable. « Chaque changement dans l’image vibratoire ne doit pas nécessairement déclencher une alarme. Ces données peuvent être utilisées pour l’analyse, pour affiner l’image de l’alarme. » Ce n’est pas de l’intelligence artificielle mais un système d’apprentissage qui applique le feedback pour augmenter la pertinence par un réglage.

Les routeurs 4G vont migrer vers la 5G. Au plus c’est rapide, au mieux. « Aujourd’hui, il est plus rentable de transférer des données par satellite », estime Alain Naets. Le prix diminue. Il y a désormais d’autres plateformes à côté d’Inmarsat. « Les systèmes seront aussi plus ouverts pour que l’information d’un système puisse migrer à un autre. Les fabricants d’appareillage de mesure doivent prôner l’ouverture. » Alain Naets souligne l’aspect collaboratif de la surveillance à distance. « Les données génériques qui transitent par un système génèrent de meilleures perspectives et c’est profitable à tous. Va-t-on travailler tous ensemble ? De nombreuses entreprises ont plus à gagner du modèle collaboratif. » <<

Par Luc De Smet

L’industrie et la marine

PRÜFTECHNIK a des applications de surveillance à distance dans l’industrie et les opérations maritimes. Le site d’Anvers couvre les ports d’Anvers et de Rotterdam et est le centre de compétences des activités maritimes et offshore du Groupe PRÜFTECHNIK AG. L’entreprise a ainsi doté le Pioneering Spirit (l’un des plus grands bateaux au monde) d’une surveillance conditionnelle sur les propulseurs qui maintiennent le bateau en place grâce au système de positionnement dynamique piloté par GPS lors de la pose de pipelines ou l’enlèvement de plateformes de forage. La fiabilité d’exploitation est cruciale. Une entreprise de Flandre occidentale spécialisée dans l’électronique a apporté son aide au développement d’une solution de capteurs intégrée pour l’analyse vibratoire sur des trains à haute vitesse. Trois ans de recherche avec le FMTC et la KUL ont été nécessaires. « C’est spectaculaire. Nous ne nous attendions pas à ce que nos accéléromètres CLD placés sur les boggies livrent de tels résultats lors de valeurs d’accélération extrêmement élevées auxquels ils étaient exposés », déclare le directeur Alain Naets. En Allemagne, l’entreprise possède un remote diagnostic center qui surveille quelques 3.500 éoliennes à distance.

Class approval

« Nous sommes un ‘approved service supplier’ pour la surveillance conditionnelle dans le secteur maritime », indique Alain Naets, directeur de PRUFTECHNIK N.V. « Les bateaux qui embarquent nos systèmes pour surveiller notamment la condition du système de propulsion ou des grues disposent d’un système de surveillance conditionnelle ‘class approved’. » L’avantage est que les intervalles entre les inspections obligatoires et les révisions sont plus longs et les arrêts plus courts. « Un propulseur, par exemple, doit uniquement être inspecté en interne s’il y a une suspicion concrète de défaillance. Un beau ‘profit’ pour les bateaux.