INFRASTRUCTURE  
Maintenance Magazine 168 – mai 2024

Maintenance des câbles sous-marins

Les câbles de télécommunications et d’énergie tapissent les fonds marins. Leur fonctionnement optimal ne dépend pas uniquement d’une installation correcte et d’un entretien approprié. La nature amène ses défis particuliers et les flottes fantômes représentent aujourd’hui un grand risque. Nous avons demandé à Geert Moerkerke (52), responsable des actifs en mer chez Elia, qui gère plus de 9.000 km de lignes haute tension sur terre et en mer, comment le gestionnaire du réseau de transport d’électricité surveille et limite les phénomènes.

Elia surveille le tracé des câbles d’énergie dans le canal. Une fois par an au moins, la trajectoire est cartographiée au sonar, de la plage à la plateforme en mer ou, dans le cas d’une interconnexion, d’une côte à l’autre. Des navires, travaillant en équipes de 12 ou 24 heures font le travail.

« L’image acoustique d’un corridor large de 100 mètres nous apprend comment se déplace le fond marin. Ici, il est très mobile », nous dit Geert Moerkerke. Les dunes de sable se déplacent sous l’effet des courants, des marées, des tempêtes, … Les câbles risquent alors d’être déterrés, ce qui les rend plus vulnérables lors d’activités en mer, avec les filets de pêche et les chaluts à perche qui raclent les fonds marins de 30 à 40 cm, selon le type de sol, les déblais de dragage déversés, l’ancre des navires …

La profondeur d’ensouillage légalement imposée pour les câbles sous-marins en Belgique est d’un mètre ‘at all times’, indique Geert Moerkerke. « Lors du placement des câbles, Elia tient compte de plusieurs risques et pas uniquement de la mobilité du fond marin et la proximité de zones d’extraction de sable ou de décharge. Nous examinons les navires qui suivent le tracé. Plus les navires sont grands et leur port en lourd (DWT) élevé, plus l’ancre est imposante. Les très grands navires doivent généralement rester dans les routes maritimes, « mais nous essayons d’estimer le risque d’ancrage accidentel ou d’urgence. » Chaque type de fond – sable meuble, sable compacté, boues, argile dure … – possède sa propre résistance et offre une certaine protection lors de l’enfoncement des ancres.

Lors de la conception l’évaluation des risques aboutit à une profondeur d’ensouillage requise, qui est plus prudente que le mètre imposé dans le permis. « Nous nous trouvons à une profondeur d’un à trois mètres et nous enlevons la couche supérieure ‘mobile’ lors de l’ensouillage du câble ». Il peut s’agir de vagues de sable de 4 à 6 m voire 8 m localement. « Nous l’enlevons par dragage jusqu’à un niveau de référence du sol marin, le niveau le plus bas attendu sur 5, 10 ou 15 ans. Puis nous descendons 3 mètres en dessous. » Le câble est déposé dans une souille qui est ensuite remblayée de sable de dragage thermiquement adapté. La profondeur d’ensouillage des câbles de télécommunications est moins conservatrice et respecte généralement une profondeur d’ensouillage de 1 mètre.

Surveillance conditionnelle

« Chaque année, nous mesurons la différence de fond du corridor et nous détectons les anomalies. Une mine, un conteneur passé par-dessus bord, une ancre perdue, du matériel de pêche … Tous les objets que nous détectons sont cartographiés et notifiés dans des bases de données. » S’ils représentent un danger pour le câble, nous les enlevons.

« Nous vérifions la profondeur d’ensouillage du câble. Si la profondeur n’est plus suffisante, nous intervenons pour l’enterrer plus profondément ou prévoir une protection supplémentaire. » Une couche de roches est déposée sur le câble à l’aide d’un trieur de pierres et d’un tuyau de descente. Le câble est placé dans une berme de protection rocheuse.

Aujourd’hui, les relevés sonar sont effectués sur des navires. « Nous étudions la possibilité de travailler sans intervention humaine. Dans l’avenir, nous prévoyons des USV (Unmanned Surface Vehicles) ou des AUV (Autonomous Underwater Vehicles) pouvant être positionnés sous l’eau à l’aide de systèmes inertiels. Ces systèmes, déjà utilisés à une échelle limitée, représentent une alternative plus sûre, plus respectueuse de l’environnement et de meilleure qualité que la navigation traditionnelle, d’après Geert Moerkerke. Il cite la proximité d’une entreprise comme Exail Robotics qui développe des drones sous-marins pour les nouveaux chasseurs de mines, capables de détecter, d’identifier et de détruire les mines, ainsi que l’entreprise GeoXYZ, également basée à Ostende, qui fournit des services de relevés sous-marins.

« L’idée est de réaliser plusieurs relevés par an pour assurer la gestion des actifs et une maintenance préventive basée sur une surveillance conditionnelle. »

L’équipe de Geert Moerkerkes a déjà effectué des scans mensuels pour le câble Nemo lorsqu’il est apparu que le fond marin, dans une zone peu profonde – les Goodwin Sands – , changeait rapidement de forme et qu’il y avait une érosion près du câble. « C’était finalement un phénomène saisonnier. »

Câbles d’énergie et fibres de données

Tant les câbles d’énergie CA que CC sont équipés de câbles de données pour communiquer. Via la fibre optique, il est possible de mesurer/surveiller la température du câble. Un câble vieillit plus rapidement à des températures plus élevées, surtout s’il est utilisé à une température proche de sa température maximale. La température du câble dépend du courant qui le traverse. D’autres facteurs jouent un rôle. Les sédiments peuvent influencer la température du câble. « Les couches de tourbe côtière sont constituées de matières végétales qui agissent comme une couverture isolante et limitent le dégagement de chaleur des câbles. » La température du câble dépend également de la profondeur d’ensouillage – plus le câble est enterré profondément, moins il peut libérer de chaleur – et du type de sédiment. Un câble a donc des températures différentes sur sa longueur.

« Nous mesurons et nous enregistrons tout cela. » La température maximale d’un câble peut atteindre 70 à 90°C. Lorsqu’il est soumis à un échauffement élevé, l’isolation subit une ‘dégradation thermique’ ou un vieillissement qui, à son tour, peut affecter la durée de vie du câble. Classiquement, la durée de vie minimale est de 30 à 35 ans. « Si vous voulez surveiller la durée de vie, il faut alors suivre la fréquence à laquelle le câble atteint sa température maximale. »

Le système Distributed Temperature Sensing (DTS) surveille en continu la température le long du câble via les fibres optiques, tandis que le système Real Time Thermal Rating (RTTR) calcule dynamiquement la capacité de courant du câble sur base des données de température et des conditions ambiantes. « L’échauffement d’un câble connait une latence ou retard. Cette inertie à l’échauffement donne une marge au câble – de quelques heures – avant qu’il ne s’échauffe rapidement. Ce phénomène permet au câble de supporter les pics de parcs éoliens et le gestionnaire amène le câble à sa température de fonctionnement maximale de manière optimale. »

Divers types de mesures peuvent être effectués sur le câble. La Time Domain Reflection (TDR) mesure le temps entre une impulsion électrique et sa réflexion résultant d’un changement d’impédance dû à un défaut ou une rupture de câble. Il y a aussi les Optical Time Domain Reflectometers (OTDR) pour prendre des mesures sur toute la longueur de la fibre optique. On sait peu de choses sur le vieillissement de la fibre optique. « Cette technologie n’est utilisée dans ce contexte que depuis une bonne décennie … »

Défaillances des câbles

« Il existe deux types de défaillance de câble. Des erreurs internes peuvent survenir pendant la production ou lors de l’installation suite une mauvaise manipulation. Une tension/traction excessive sur le câble ou le non-respect du rayon de courbure maximal, par exemple. Les câbles offshore sont dotés d’un blindage en acier galvanisé ou inoxydable tissé pour éviter que le câble, lors de l’installation, ne s’effondre sous son poids ou sous l’effet des forces de traction excessives. Le deuxième type de défaillance vient de facteurs externes : une ancre ou un chalut à perche endommage par exemple le câble, voire l’arrache, ou une usure lente due à une contrainte mécanique cyclique, par exemple des vibrations, provoquant la rupture de la gaine de plomb du câble (lead sheet fatigue).

L’isolation en polyéthylène réticulé (XLPE) d’un câble vieillit avec l’âge et l’échauffement du câble. Lors d’une isolation défaillante, des étincelles/décharges peuvent se produire. Le monitoring PD (Partial Discharge Monitoring) surveille et détecte les décharges partielles dans l’isolation des équipements et des câbles à haute tension.

Complémentarité

« Nous ‘écoutons’ constamment via les câbles », poursuit Geert Moerkerke. À l’aide d’un Distributed Acoustic Sensing (DAS), une impulsion lumineuse à haute fréquence est envoyée en continu à travers la fibre pour analyser la lumière réfléchie de chaque point de la longueur de la fibre. Chaque signal acoustique traversant la colonne d’eau a un impact sur la fibre optique, au niveau moléculaire, ce qui peut être lu comme un déphasage du spectre lumineux rétrodiffusé. Le DAS peut détecter des navires mais aussi un filet ou une ancre tirée sur le fond marin, sur toute la longueur du câble. En revanche, un tel signal comporte énormément d’interférences. « Les zones côtières où les vagues se brisent provoquent énormément de bruit de fond, mais cette technique permet également de détecter des véhicules sur la route ou une excavatrice à proximité d’un tracé terrestre de câbles. » Lors de multiples sources sonores, cela devient difficile, « mais nous cherchons à faire plus avec ces signaux, par exemple reconnaître l’empreinte acoustique d’un bateau de pêche, d’une drague ou autre. La technologie est prometteuse et en plein développement. »

Les données d’une technologie peuvent être couplées à une technologie complémentaire, par exemple aux images satellites. « Mais il faut parfois plusieurs jours avant qu’un satellite ne soit orienté au bon endroit. » L’année dernière, une démonstration de faisabilité a eu lieu pour suivre les navires de la flotte fantôme avec des satellites. « Cette technologie est en cours de développement. »

L’alternative est une présence permanente et active dans la zone. « C’est une question de complémentarité », poursuit Geert Moerkerke, qui souligne que chaque technologie a ses avantages et ses limites. « Les câbles d’Elia produisent plusieurs téraoctets de données chaque jour. Trop pour tout traiter. Il faut donc appliquer une IA capable de détecter des événements spécifiques et de déclencher une alarme si nécessaire. Le défi réside dans le traitement des données. »

par Luc De Smet

D’une maintenance préventive à une maintenance conditionnelle

« Une fois le projet livré et l’infrastructure en service, nous sommes responsables de l’exploitation et des mesures de gestion, c’est-à-dire la maintenance », déclare Geert Moerkerke qui, avec son équipe, gère les actifs en mer d’Elia. Pendant la période de garantie, Elia travaille principalement de manière préventive. Des inspections et des interventions ont lieu à des intervalles réguliers. Une fois l’installation hors garantie, la stratégie glisse vers une maintenance conditionnelle, et curative si nécessaire.

La Condition Based Monitoring (CBM) est une stratégie de maintenance qui effectue en continu ou régulièrement des contrôles et des analyses de l’état de fonctionnement. L’objectif est de planifier la maintenance en fonction des conditions réelles plutôt qu’à des intervalles prédéterminés. Cela aide à réduire les coûts de maintenance, à augmenter la fiabilité et à prolonger la durée de vie des actifs.

« Les nouvelles technologies nous aident dans cette démarche. Aujourd’hui, les inspections de peinture des installations offshore sont encore effectuées par des techniciens équipés de matériel d’escalade, ce qu’on appelle le travail MoB, où chaque partie de la plateforme offshore et de l’enveloppe est inspectée à l’aide de cordes et de crochets. À l’avenir, nous espérons pouvoir déployer des drones équipés de caméras multispectrales. » Les techniciens qualifiés sont rares. Les campagnes de maintenance sont assurées toute l’année par notre personnel et des contractants externes. Les câbles en font partie. Geert Moerkerke est également asset manager de Nemo Link. Depuis début 2019, la ligne de haute tension CC entre le Herdersbrug à Bruges et le Richborough dans le Kent est capable de transporter jusqu’à 1.000 MW. Cette interconnexion HVDC sous-marine de 140 km de long a une disponibilité de 99,5% et a transporté 29,6 TWh entre la Belgique et le Royaume-Uni au cours des cinq dernières années. Nemo Link soutient la garantie d’approvisionnement, augmente les possibilités d’équilibrage des réseaux et offre plus d’avantages socio-économiques. »

Réparer un câble demande du temps et …

Quand un câble est défaillant, il faut le réparer. « L’année dernière, la plateforme Rentel a connu un problème de câble. La rupture se situait là où le câble entrait dans la plateforme. » L’incident a eu lieu le 9 janvier 2024 et le câble était à nouveau opérationnel le 17 mai. Il a fallu tirer 400 mètres de nouveau câble puis le raccorder sur le pont au câble existant. Le travail a duré quatre mois et fut ‘rapide’. Les 309 MW de Rentel ont été transférés à terre , jusqu’à la prise d’Elia, via un itinéraire alternatif. (Photo© Elia)

Offshore Service Center Elia

D’ici la fin de l’année, Elia emménagera dans son Offshore Service Center actuellement en construction le long du quai d’Ostende. L’équipe offshore s’agrandit. « En 2018, nous étions 8. Aujourd’hui, nous sommes 20 et d’ici fin 2026 nous serons 35 collaborateurs », déclare Geert Moerkerke, responsable des actifs en mer. Le bâtiment sera certifié BREEAM Very Good. Ce projet de joint-venture OYO-Tractebel (OYO est l’architecte et Tractebel le bureau d’études) comprend un entrepôt au rez-de-chaussée pour les pièces de rechange et un atelier. À l’étage se trouvent 500 m² de salles de réunion et de réception polyvalentes. Il y a des bureaux, un centre de crise et une salle de contrôle où les opérateurs disposeront d’une vue globale des activités offshore d’Elia. Des formations seront organisées. Ostende deviendra le hub onshore d’Elia pour la partie belge de la mer du Nord.