SURVEILLANCE D'ÉTAT
Maintenance Magazine 167 – mars 2025
Insens mesure les signaux électriques pour la maintenance prédictive
-
-
-
-
-
-
-
-

« Notre solution peut traiter de nombreuses machines et de nombreuses pannes, » Guillaume Francaux, Insens

Le capteur d’Insens est monté en parallèle sur l’alimentation (triphasée). Les ‘sinus’ sont tracés dans le temps. Les pics et les creux indiquent d’éventuelles défaillances.

Mesure de la performance d’un moteur de pompe sur une demi année.
PreviousNext
Fondée en 2019, Insens est spécialisée dans la maintenance prédictive et l’optimisation de la consommation énergétique des machines industrielles rotatives. Fin 2022, elle lançait son produit RED qui analyse le signal électrique du dispositif rotatif. Pas d’analyse vibratoire donc. Un capteur mesure la tension et le courant et est facilement accessible dans l’armoire de commutation. La mesure RED est couplée 24/7 en temps réel à la plateforme de diagnostic d’Insens. On parle de 15% de consommation d’énergie en moins, de 15% d’émissions de CO2 en moins et de 7% de disponibilité machines en plus.
En 2019, trois étudiants en ingénierie de l’UCL s’associent et interrogent les entrepreneurs industriels sur leurs points sensibles. « Nous n’avions rien à vendre, nous voulions un entretien ouvert et savoir ce qui les empêchait de dormir la nuit », explique l’ingénieur mécanicien Guillaume Francaux (28), aujourd’hui CEO de la startup Insens. Ses frères d’armes sont Gautier Waterlot (CSO) et Nicolas Verbeek (CTO).
« Nous avons constaté de nombreuses similitudes dans les différents secteurs. Les machines rotatives présentent deux problèmes. D’un côté, elles sont défaillantes à des moments inattendus. Les pièces de rechange ne sont pas immédiatement disponibles et les coûts de réparation sont plus élevés qu’avec une maintenance planifiée. Mais ce qui coûte encore plus cher, c’est la panne qui arrête la production. De plus, le nombre de techniciens de maintenance est limité. » Les solutions existantes en matière de maintenance prédictive ne sont donc pas à la hauteur … D’autre part, les parcs machines représentent 70% et plus de la consommation électrique totale des entreprises. Les mesures de consommation ne disent pas tout. Qui sont les grands consommateurs? « Les entreprises veulent en savoir plus mais manquent d’outils. » Le trio s’est attelé à trouver une solution aux deux problèmes.
Un capteur par machine
Aujourd’hui, la maintenance prédictive s’appuie sur des analyses d’huile, de vibrations … Les tags qui mesurent les vibrations sont posés sur la machine, parfois dans des endroits difficilement accessibles. Il faut parfois un câblage, ce qui complique le déploiement. Certaines machines nécessitent plusieurs capteurs. On les réserve alors pour les machines critiques. Les capteurs nécessitent des batteries, donc un suivi et de la gestion. « Et nous n’avons pas encore abordé la surveillance de l’énergie. Nous voulions quelque chose de différent. »
En 2021, le trio découvre dans la littérature qu’il est possible d’utiliser les signaux électriques de l’alimentation moteur pour détecter à la fois des défauts électriques et mécaniques.
« Nous n’avons pas trouvé de solution évolutive sur le marché », ajoute Guillaume Francaux. Il existait des solutions plus ou moins portables que les experts emmenaient avec eux pour réaliser des campagnes de mesure ponctuelles. De l’échantillonnage. « Nous voulions évoluer vers une surveillance continue et nous cherchions à construire un capteur facile à installer, évolutif et bon marché. »
Des tests ont lieu en laboratoire. Un capteur est monté en parallèle sur les fils d’alimentation de la machine pour mesurer les signaux – courant et tension. Les signaux sont liés à des pannes de machine. Le capteur ne doit pas être sur la machine, on le place sur le rail, à côté des commutateurs dans l’armoire de commutation. Le capteur fonctionne de manière autonome et est alimenté par l’armoire de commutation. « Nous suivons des machines qui étaient difficiles voire impossibles à surveiller. Pensez à une pompe submersible ou un moteur dans un environnement ATEX. »
Le dérisquage avec les clients
Une preuve de concept a suivi en 2022. Dans le même temps, les trois associés se tournent vers l’industrie. « En échange de nos capteurs, nous demandions un retour d’information pour comparer nos résultats aux autres technologies utilisées. » Pendant un an, jusqu’en 2023, ils valident leur technologie. « Nous avions détecté des défauts électriques. Les défauts mécaniques trouvent souvent leur origine dans les défauts électriques. Nous avons relié certains signaux à des erreurs mécaniques. Nous pouvions mesurer simultanément la consommation électrique et cartographier les tendances pour détecter les comportements anormaux et faire des propositions correctives. Ils ont donc réduit les risques avec des clients pilotes comme TotalEnergies, Lhoist, Knauf, Heidelberg Materials, … qui sont restés clients.
« Notre solution peut traiter de nombreuses machines et de nombreuses pannes. Elle ne remplace pas l’analyse vibratoire mais est plutôt complémentaire. » La solution connait aussi ses limites. « Dans les machines complexes, avec de nombreux réducteurs par exemple, un problème croissant en bout de chaîne, loin du moteur, peut n’être détecté que plus tard dans le signal électrique. » L’analyse vibratoire est alors utile. « Mais cela ne concerne que 5 à 10% des machines industrielles », précise Guillaume Francaux. « Notre solution s’adresse aux 90 à 95% restants. Entretemps, l’utilisateur bénéficie d’un aperçu de sa consommation d’électricité. »
Une solution sur le cloud pratique
La technologie des capteurs a été entièrement développée par Insens. Il en va de même pour le logiciel ainsi que la plateforme qui affiche les données traitées. Pour l’instant, les trois associés n’étaient actifs qu’en Belgique mais la solution suit les clients à l’étranger. Un brevet a été déposé pour les Etats-Unis et l’Europe. « Les capteurs sont assemblés en Europe. Nous montons les pcb ici, nous réalisons l’assemblage final, le calibrage et les tests de qualité. Nous n’avons pas d’énormes productions, pas encore.”
« Le montage est pratiquement plug & play. » Divers connecteurs sont nécessaires en fonction de la taille de la machine et de la taille des câbles. Insens configure chaque capteur. Les données d’identification de la machine y sont intégrées. Le client l’installe dans l’armoire de distribution et l’accouple à son infrastructure IoT. Une connexion à la plateforme Insens permet à l’utilisateur de voir ce qui se passe. L’écran visualise toutes les machines couplées sur les sites de l’entreprise. A côté de chaque machine figure un code couleur avec une évaluation – healthy, early fault, warning, critical – et éventuellement une description du défaut. Par exemple ‘coupling misalignment’. Via une chatbox, le client peut discuter avec un expert de chez Insens. Le problème peut être clarifié à l’aide de photos. L’écran propose aussi des historiques.
Tout est basé sur le cloud. Les algorithmes développés sont dotés d’un système auto-apprenant. L’intelligence artificielle. Les données sont cryptées. « Les clients ont accès aux données mais nous leur fournissons également des diagnostics sur lesquels ils peuvent agir. » Les informations peuvent être transmises au CMMS (computerized maintenance management system) du client, en 3G, 4G ou filaire. « Nous mesurons le courant et la tension », poursuit Guillaume
Francaux. Les ‘sinus’ sont tracés dans le temps. Les pics et les creux indiquent d’éventuelles ‘défaillances’. Le capteur, monté en parallèle sur l’alimentation électrique (triphasée), enregistre également les défauts en amont. Les défauts de condensateur peuvent parfois indiquer des pics de tension dans le réseau électrique. Des connecteurs desserrés qui provoquent l’échauffement des câbles sont également détectés.
Développement de l’activité
Aujourd’hui, l’accent n’est plus mis sur la technologie. « Nous voulons poursuivre le développement de l’activité, attirer des clients et accroître la notoriété sur le marché. » Outre le développement de l’équipe commerciale, il s’agit de mettre en place un réseau de partenaires avec des constructeurs de machines, des intégrateurs, des entreprises de maintenance, des installateurs électriciens, … « Nous sommes en train de tout segmenter. » Il n’y a pas vraiment de focalisation sur des industries spécifiques. « Aujourd’hui, nous mesurons principalement les moteurs, pas vraiment les générateurs, comme les éoliennes. »
« Il ne faut heureusement plus expliquer ce qu’est la maintenance prédictive. L’industrie s’intéresse principalement à la recherche vibratoire. Nous proposons une technologie différente. Il faut l’expliquer avant d’essayer des choses. Ce n’est qu’ensuite que le reste suivra. » Les prix diminuent avec le nombre de capteurs. « Nous sommes entre 20 et 15% moins chers que la concurrence qui effectue des analyses vibratoires. Chaque année, nous voulons doubler le nombre de capteurs déployés. »
Par Luc De Smet