INFRASTRUCTURE
Maintenance Magazine 166 – décembre 2024
L’Astra Bridge – made in Switzerland
Travaux routiers, voies rétrécies, détours dans le sens opposé, embouteillages, accidents, travail de nuit, nuisances sonores … Il est apparemment possible de faire mieux. En Suisse, un pont mobile a été construit et testé pour séparer le trafic routier et les travaux d’entretien des routes. Le trafic circule sur le pont tandis que les travaux sont exécutés au-dessous. Quand une section est finalisée, le pont est avancé vers la section suivante pendant la nuit.
par Luc De Smet
Début avril, l’Astra Bridge était inauguré sur l’A1 près de Berne, en Suisse, pour renouveler le revêtement routier entre Recherswil et l’embranchement avec l’A5 à Luterbach (SO) en direction de Zurich. Le pont métallique mesure 7,57 mètres de large, 4,65 mètres de haut et 257 mètres de long. Il se compose de plusieurs segments autonomes rivetés ensemble. Des rampes d’accès et de sortie sont prévues à l’avant et à l’arrière. Les véhicules empruntent le pont sur deux voies de 3 mètres de large chacune à une vitesse maximale de 60 km/h. Chaque jour, 35.000 à 40.000 véhicules passent sur le pont. En-dessous, une partie de la chaussée est renouvelée sur 100 mètres. Quand les travaux sont terminés sur ce tronçon, le pont est avancé. Le consortium composé de Marti Technik et Senn AG, qui a réalisé la structure en acier, s’est chargé de la mise en mouvement du pont en collaboration avec Cometto.
Montage
Le pont mesure 257 mètres, pèse 1.252 tonnes et comprend plusieurs sections. Son montage sur le chantier de l’autoroute s’est déroulé pendant deux nuits consécutives lors d’un week-end. La première nuit, deux équipes de 14 hommes ont travaillé sur la rampe d’accès de 68 mètres de long et la rampe de sortie de même longueur. Ils ont ensuite rapproché et accouplé les deux moitiés du pont. La circulation était alors possible sur une longueur de 136 mètres. Lors de la deuxième nuit, les portiques et les tabliers intermédiaires restants ont été livrés pour couvrir les 100 mètres de longueur manquants. Pour pouvoir les installer, il a fallu rouvrir le pont assemblé. Le pont peut être allongé ou raccourci en ajoutant ou en enlevant des portiques.
Au total, 18 portiques autonomes sont pilotés à distance par télécommande. Ils peuvent être chargés et déchargés sans grue. Une grue de 110 tonnes est par contre nécessaire pour les quatre rampes d’accès/de sortie (deux fois deux) ainsi que pour les segments intermédiaires entre les portiques. Deux grues de 55 tonnes chacune suffisent.
Une fois les éléments assemblés, le pont a été positionné sur la chaussée où il fallait renouveler le revêtement routier. Les 22 unités Powerpack des portiques sont connectées entre elles selon un programme maître-esclave. Une seule télécommande permet de piloter et de déplacer l’ensemble. Une fois en place, le pont est soulevé et nivelé jusqu’à 10 cm au-dessus du sol via des béquilles hydrauliques.
Système de navigation par satellite
Cometto a équipé le pont d’un système de navigation par satellite pour pouvoir le déplacer au centimètre près le long de l’autoroute. Centre d’expertise en véhicules automoteurs ou SPMT (self propelled modular transporter) au sein du groupe Faymonville, Cometto a livré l’équipement automoteur complet, soit 92 essieux à direction électronique avec une course d’essieu de 700 millimètres chacun, ainsi que 22 unités powepack avec radiocommande et 22 armoires de distribution hydraulique. Les unités ont été assemblées chez Marti Technik à Moosseedorf.
Les diverses sections du pont peuvent être rivetées ensemble les unes derrière les autres, ou suivre une courbe en S d’un rayon de 1.000 mètres. Au niveau de chaque section, un ajustement d’environ trois degrés est possible.
Travailler en toute sécurité
La circulation a lieu sur le pont, au-dessus du chantier, sur deux voies rétrécies. Le potentiel de danger pour les ouvriers impliqués a fortement diminué. En-dessous, un couloir de 100 mètres de long s’ouvre sur une largeur de 5,1 mètres et une hauteur de 3,1 mètres. Les engins de construction circulent dans la zone pour fraiser l’ancien asphalte et appliquer le nouveau. Une fois le travail terminé, le pont est avancé de 100 mètres durant la nuit et les travaux recommencent.
Les camions qui apportent et évacuent le matériel pour les travaux et qui mesurent quatre mètres de haut voire plus ne peuvent pas passer sous le pont. Ils roulent alors sur le côté du pont, sur la voie de gauche qui sert de voie logistique. Quand cette voie rapide est prise en charge, les livraisons s’effectuent alors via la voie d’arrêt d’urgence.
Il est frappant de constater que les travaux sous le pont – le grattage de l’ancienne couche d’asphalte, la pose d’une couche de goudron, le déversage de gravier, la compression de la couche, la finition des bords, etc. – sont encore relativement ‘manuels’ et consécutifs. Le pont est relativement bas et les chauffeurs de camions, de dumpers et de bennes à ridelles doivent être attentifs. Les matériaux et les machines, les rouleaux compresseurs, …, doivent parfois aussi passer par les colonnes sur la bande latérale. Le travail est périlleux et les risques spécifiques.
Une réflexion : le pont mobile ne pourrait-il pas accueillir un train logistique en-dessous pour éviter le déplacement de nombreuses personnes ? Un train pour les travaux routiers qui effectuerait toutes les opérations et la logistique dans un même temps. Il est permis de rêver.
ASTRA, le Bundesamt für Strassen ou Office fédéral des routes, est responsable de la construction, de la maintenance et de la gestion du réseau routier national suisse. L’ASTRA Bridge a été déployé pour la première fois en 2022 sur l’A1 entre Recherswil et Luterbach (SO). Le déplacement du pont et les travaux routiers se sont déroulés sans problème, comme attendu. Cependant, le principal problème de ce projet pilote est la circulation laborieuse sur le pont. Une ré-ingénierie du pont s’imposait. Dans la première version d’essai, la déclivité était de 6,1%. Dans la seconde version, elle n’était plus que de 1,25%, ce qui a permis d’allonger les rampes d’accès et de sortie.
Un an et demi après le premier test, le pont a été à nouveau déployé début avril 2024 pour renouveler la couche de revêtement. Selon l’avancement des travaux, le pont est déplacé la nuit sur 100 m. La circulation est alors déviée à côté du pont, sur la voie logistique, durant une heure et demie.
Un mois après le lancement des travaux, 1,3 km de chaussée a été asphalté. Deux mois plus tard : 2,4 km. Les travaux se déroulent en 79 étapes jusqu’à fin août. La voie rapide sera d’abord achevée. Ensuite, le pont changera de direction (Bern) pour aborder l’autre voie.