ASSET MANAGEMENT  
Maintenance Magazine 164 – mai 2024

Gestion d’actifs au carré : Gestion de 34.000 km de canalisations

En 2013, la Vlaamse Maatschappij voor Watervoorziening s’est mue en De Watergroep. Cette évolution a également coïncidé avec le lancement d’un programme ambitieux de réduction du nombre des fuites d’eau : LEAKIE. Un processus couronné par l’Asset Performance 4.0 Award à la fin de l’année dernière. Un entretien avec Cindy Vermeire, directrice du service de distribution et d’approvisionnement, et Filip Vancoillie, responsable de la gestion des actifs et des processus, portant sur les défis et l’importance de la gestion des changements.

par Valérie Couplez

Face à un réseau de canalisations de 34.000 km, en majeure partie souterrain, Vancoillie n’a pas la tâche facile. « Notre mission réside dans la traduction des objectifs stratégiques fixés par De Watergroep en plans d’action concrets et en projets d’amélioration. Nous nous concentrons sur trois domaines : matériaux, objectifs financiers et solutions informatiques et numériques. La numérisation est une nécessité absolue. Nous ne disposons que d’un collaborateur par tranche de 2.000 km de canalisations. Dès lors, nous devons faire preuve d’une certaine ingéniosité. Une analyse pointue des données nous permet d’identifier les lieux les plus propices à la détection de fuites. »

Chaque goutte compte

Cet intitulé nous renvoie immédiatement au projet le plus connu lancé par De Watergroep ; à savoir, le programme LEAKIE dont la devise n’est autre que « chaque goutte compte ». Vancoillie: « L’eau est un bien précieux. Le changement climatique met notre gestion de l’eau à rude épreuve. Nous pourrions être tentés de l’oublier après l’hiver humide que nous avons connu, mais les cinq dernières années se sont avérées particulièrement sèches. Voilà pourquoi nous devons accroître la robustesse de nos réseaux d’eau. Cet effort commence par la réduction des pertes d’eau imputables aux fuites. » C’est ainsi qu’est né LEAKIE, un ambitieux programme pluriannuel visant à réduire radicalement le fameux ‘indice des pertes par fuites’. De Watergroep entend figurer, d’ici la fin de l’année 2025, au palmarès international quant au nombre des canalisations exemptes de fuites.

Volume accru de données de meilleure qualité

Pour ce faire, une numérisation poussée s’impose. Vermeire : « D’une part en recueillant davantage de données et d’autre part en améliorant la qualité des données recueillies. » Sur les 1.000 capteurs que comptait déjà le réseau de canalisations, l’entreprise a procédé à la mise à niveau de 300 unités existantes et à l’installation de 400 capteurs neufs. La somme de ces interventions représente un investissement de 17,8 millions d’euros. Les données générées de la sorte permettent de guider avec une efficacité accrue les techniciens De Watergroep. « Pour qu’ils sachent à partir de quels points la recherche de fuites devient pertinente. Pour ce faire, nous étudions essentiellement le débit des canalisations et la pression qui règne au sein de celles-ci. » Mais en quels points l’installation de ces capteurs s’imposait-elle ? « Nous avons dénombré quelque 400 zones d’enregistrement bornées par une série de débitmètres mesurant les quantités d’eau entrantes et sortantes de la zone considérée. L’implantation de capteurs supplémentaires nous a permis de subdiviser la zone la plus importante en zones plus petites. Ces derniers ont permis à leur tour de scinder la zone en deux autres parties, afin que nous puissions continuer à affiner le dispositif », explique Vermeire.

Des données, des données et encore des données

L’entreprise ne s’est pas bornée à l’installation de capteurs de débit et de pression classiques. « Les données acoustiques revêtent, par exemple, un intérêt certain. Les fuites émettent des sons très particuliers dont d’autres types de capteurs se prêtent à la détection. Mais nous nous sommes également lancés dans d’autres projets ‘plus exotiques’, tels que l’exploitation de données satellitaires ou d’un gaz traceur pour localiser les fuites difficiles à atteindre. Nous recueillons, dans un entrepôt de données ultramoderne, une somme considérable de données provenant de capteurs ainsi que les données émanant des compteurs d’eau numériques. C’est un monde de données inédit qui s’offre à nous », selon Vancoillie. De Watergroep met ensuite à contribution divers algorithmes intelligents d’apprentissage automatique et d’IA générative pour obtenir des informations exploitables permettant une détection plus rapide et plus précise des fuites.

Réduction des pertes

Il s’agit d’abord de dépêcher des techniciens sur site avec un maximum d’efficacité. Mais selon Vancoillie, les chiffres sont éloquents. « Nous calculons les mètres cubes d’eau perdus au sein du réseau. Depuis deux ans, nous observons une réduction constante des pertes. Autant de résultats que nous comparons à ceux d’autres entreprises du secteur de l’eau et que nous communiquons aux membres du personnel qui ont contribué à leur obtention. Ainsi, chacun sait que son action contribue réellement à faire la différence. C’est très motivant. »

Excellent exemple de gestion des changements

Un parcours emprunté par De Watergroep depuis 2019. « La gestion des changements et leur communication ont été présentées comme autant d’éléments cruciaux pour l’obtention de résultats dans la lutte contre les pertes d’eau », relate Vermeire. « C’est la raison pour laquelle l’amélioration de la qualité des données revêt une telle importance. S’il convient d’expliquer aux membres du personnel pourquoi leur méthode de travail doit évoluer, ces derniers doivent également savoir qu’ils peuvent se fier à ces données émergentes. » Le jury du prix Asset Performance 4.0 a également relevé la motivation du personnel dans sa décision de récompenser De Watergroep. Vancoillie: « Faire évoluer cette culture d’entreprise n’a pas été de tout repos, mais nous en récoltons les fruits aujourd’hui. La motivation est bonne ; on perçoit aussi le foisonnement d’idées neuves émanant d’une base désireuse de travailler avec ces données. Cette vitalité a le don d’accélérer le programme LEAKIE. »

Vers la co-innovation

Le processus de numérisation est loin d’être achevé. « Nous continuons à travailler sur la qualité de nos données. Lorsque nous avons commencé, les systèmes d’enregistrement de données dont nous disposions étaient obsolètes, non intégrés et différents les uns des autres. Au début, cette disparité a suscité bien des interrogations, parce que les données ne semblaient pas fiables. Aujourd’hui, nous avons accompli la moitié du chemin, mais nous devons continuer à investir dans ce domaine. Plus les données seront précises, plus nous gagnerons en efficacité », selon Vancoillie. « Mais nous n’y parviendrons pas seuls. Nous cherchons résolument à collaborer avec des entrepreneurs et partenaires en technologie pour franchir les prochaines étapes. Le scénario de rêve ? Développer la co-innovation, afin de créer de nouvelles technologies et solutions en vue d’une gestion plus durable de l’eau. La numérisation n’en demeure pas moins une nécessité. En effet, les ressources financières sont limitées. Par conséquent, nous devons veiller à investir à bon escient et au moment propice. »

La voie de l’amélioration permanente

Quels sont les principaux enseignements que nous avons tirés ces dernières années ? « Nous devrions tous emprunter la même voie. Il est impossible de transposer littéralement dans un autre secteur des solutions opérationnelles dans un autre. Si leur adaptation à un contexte spécifique s’impose, les mécanismes sont les mêmes ; nous œuvrons tous à l’amélioration permanente. En clair, nous avons encore beaucoup à apprendre les uns des autres », conclut Vermeire.