MAINTENANCE À L'HONNEUR  
Maintenance Magazine 160 – mai 2023

Drones sous-marins multi-tâches

L’utilisation de robots pour exécuter des tâches sous-marines n’est pas nouvelle. Par le passé, c’était surtout pour la recherche scientifique et l’inspection des grandes infrastructures sous-marines. Depuis peu, un marché commercial se développe, avec des appareils bon marché, à l’instar de ce qui se passe sur le marché des drones aériens.

Le littoral belge est parsemé de conduites, écluses, murs de quai, fondations d’éoliennes en mer et autres structures sous-marines. La zone portuaire d’Anvers et d’autres sites industriels comptent des milliers de cuves de stockage de liquides. Par ailleurs, les plus grandes entreprises de construction belges sont des entreprises hydrauliques actives dans le monde entier. Bref, le marché potentiel pour les applications sous-marines est énorme.

Meilleur rendement

« La plongée a toujours été une activité dangereuse, faisant des victimes chaque année », souligne Jurgen Moerman, directeur de Cspect (Jabbeke). « Les robots d’aujourd’hui remplacent déjà les plongeurs pour les inspections visuelles et les interventions simples, tout en assurant un niveau de prestations souvent supérieur. De plus, les plongeurs ne peuvent travailler sous l’eau que pendant une durée limitée, alors que les robots sous-marins travaillent sans limitation de temps et peuvent donc enregistrer et traiter beaucoup plus de données en proportion du temps de service. Leur rendement est largement supérieur à celui des plongeurs. » Les robots sous-marins, communément appelés ROV (Remotely Operated Vehicle) dans l’industrie, sont généralement pilotés par un ou deux opérateurs. Certains modèles fonctionnent sur batterie, mais la plupart des unités utilisées aujourd’hui sont reliées par un câble, la ‘laisse véhicule’, à un TMS (Système de gestion de la laisse véhicule). Certains TMS peuvent même être laissés sur le fond marin, en tant que station d’accueil pour le ROV. Certains ROV roulent sur le sol à l’aide de chenilles ou de roues ou se déplacent magnétiquement sur les surfaces verticales tandis que d’autres sont équipés d’hélices comme les drones aériens.

Eaux troubles

« Nous appelons ‘drone’ les appareils qui génèrent uniquement des images et ‘robot’ ceux qui possèdent aussi des capteurs », explique Moerman. « Les caméras produisent des images utiles, mais pour faire des mesures précises nous équipons les drones de capteurs spécifiques. Dans les eaux sales offrant peu ou pas de visibilité, nous utilisons un sonar pour l’imagerie. » Son entreprise développe elle-même les accessoires nécessaires pour des tâches particulières. Les drones suppriment le risque d’incidents auxquels sont exposés les plongeurs dans les eaux troubles et sur les sites peu accessibles ou offrant peu de marge de manœuvre. « Un autre avantage des robots est qu’ils peuvent inspecter l’intérieur des cuves remplies de liquides industriels sans besoin de les vider. Cela vaut aussi pour les interventions par ex. dans des écluses ou bassins d’eau potable. Les travaux de soudure ne sont pas encore possibles, mais les robots sont parfaitement à même d’exécuter des tâches comme le nettoyage au jet d’eau de surfaces ou l’élimination des boues », dit Niels Kruize, représentant de H2O Drones (Arnhem).

Profondeur

En dehors de l’industrie, les drones sont utilisés pour la détection de pollutions maritimes (illégales), l’inspection des dégâts et excroissances sur les parties immergées des bateaux, la recherche dans les pêcheries et la surveillance des parcs à huîtres et moules commerciaux. « Nous les utilisons aussi pour mesurer l’épaisseur des structures en acier, contrôler le bon fonctionnement des systèmes d’anode et récupérer des objets perdus », complète Hendrik Vanneste de CSpect. Les ROV les plus robustes peuvent travailler jusqu’à 2.000 m de profondeur, bien au-delà des capacités d’un plongeur. Ils sont surtout utilisés sur les plateformes pétrolières. « Les plus petits modèles, les micro-ROV, ne sont pas des jouets, mais sont conçus et construits avec les mêmes exigences que les gros modèles. Ils peuvent travailler jusqu’à une profondeur de 150 m. » Les ROV peuvent également déjà servir à prélever des échantillons d’eau et de sol, mesurer l’oxygène et le bruit, ou faire des manipulations simples, comme couper un câble. « Il faut aussi savoir que nos ROV peuvent travailler avec des vitesses de courant jusqu’à 3 nœuds, alors que les plongeurs doivent s’arrêter quand le courant dépasse 0,5 nœud. » L’armée et les services de déminage utilisent des ROV pour désamorcer les mines marines : en cas de fausse manœuvre, il n’y a que des dégâts matériels.

Limitations

« Le problème aujourd’hui n’est pas la technologie », soupire Vanneste, « mais plutôt les opérateurs de robots. Notre bureau d’ingénieurs est accrédité pour l’inspection sous-marine robotisée par des organismes d’accréditation internationaux reconnus, comme Bureau Veritas (BV), American Bureau of Shipping (ABS), Rina, Lloyd’s Register et Norske Veritas (DNV) qui utilisent le cadre fixé par l’International Association of Classification Societies (IACS). Nos employés sont formés pour inspecter des structures offshore et navales et sont certifiés Niveaux I et II pour l’analyse de la corrosion via UTM (mesure d’épaisseur par ultrasons). Mais certains acteurs du marché ne travaillent pas dans ce cadre. » La certification n’est pas une obligation légale. « Dans notre pays, il existe un cadre légal pour le pilotage des drones, fixant notamment les zones de vol autorisées, mais pas pour les connaissances de base des pilotes exécutant des missions techniques spécifiques. C’est pareil pour les ROV. Il n’est pas très difficile de piloter un ROV, mais interpréter les images et les mesures est une autre affaire. On peut toujours faire appel à un expert pour analyser par après les images et mesures, mais l’inspection requiert quand même des connaissances de base pour décider sur quelles observations se focaliser et quels éléments examiner de plus près. En résumé, quiconque achète le matériel adapté peut exécuter des activités ROV, mais il n’y a pas encore de cadre légal pour en garantir la qualité. »

Formation et assistance

Kruize est plus optimiste. « Piloter un ROV est assez facile, mais interpréter correctement les données et les images à l’écran requiert une formation. Il n’est pas exact de parler d’absence de cadre. Nous vendons les modèles du fabricant canadien Deep Trekker, mais nous ne sommes pas qu’une simple boutique. Nous proposons à nos clients une formation de deux jours, durant laquelle ils apprennent tout ce qu’il faut savoir pour piloter un ROV. Si plus tard ils ont une question, ils peuvent toujours nous contacter et, sur demande, nous prêtons également main-forte pour les tâches opérationnelles. Mais la plupart des clients ont intérêt à faire appel à nous pour exécuter les inspections plutôt que d’acheter un ROV car le concept reste nouveau et nous sommes les spécialistes. Nous ignorons de quelle façon nos clients utilisent le matériel, mais nous avons néanmoins développé avec le Rijkswaterstaat (Agence gouvernementale de l’équipement) un certificat à trois niveaux attestant des capacités de l’opérateur. Auparavant, en tant que jeune entreprise, nous devions faire cela nous-mêmes car rien n’existait. Nous utilisons souvent des normes qui n’intègrent pas encore les nouvelles techniques disponibles. Par exemple, alors que les normes NEN officielles exigent d’inspecter les conduites à 360°, il arrive souvent que le fond soit masqué par de la boue. Dans ce cas, nous utilisons la norme comme guide pour l’inspection. Mais souvent ce n’est pas possible à 100%. »

par Koen Mortelmans