IN THE FIELD  
Maintenance Magazine 146 – décembre 2019

Physique des fissures et mécanique de rupture

Eléments finis, modèles et logiciels

La fatigue dégrade les structures au fil du temps. La fatigue peut faire apparaître une fissure qui croît jusqu’à être trop importante... et mène à la rupture de la structure. Les cas typiques sont dans les machines tournantes, les essieux de roues de chemin de fer, les hélices ... Un entretien au sujet des éléments finis, des modèles et les logiciels.

Niveau 1 : méthode des éléments finis

Et si une fissure se produisait ? Faut-il arrêter ou peut-on continuer à travailler jusqu’au prochain entretien ou plus tard encore ? « À ce moment-là, nous allons nous concentrer spécifiquement sur les détails et sur base de l’expérience avec le matériau calculer jusqu’à quelle limite aller. Ces données sont obtenues à partir de modèles », explique Marc Vanderschueren, senior Business Development Manager R&D Partnerships chez Ocas. Plusieurs niveaux d’analyse sont possibles. Un premier niveau consiste à effectuer une analyse par éléments finis qui reflète la tension dans le système. Certaines lois régissent les mécanismes de fatigue et les défaillances. « Les tensions maximales calculées peuvent être relatées aux cycles. De cette façon, l’on peut calculer si la durée de vie de la pièce atteindra son seuil. Les machines fortement sollicitées, telles que les turbines, doivent être maintenues à basse tension. S’il y a des défauts, ils pourraient croître très rapidement en raison de la vitesse élevée. »

Niveau 2 : Mesurer la croissance des fissures

Avec les machines faciles à inspecter, il est relativement aisé de mesurer et suivre la croissance de la fissure et de calculer à quelle vitesse elle peut évoluer. Pour les fissures à croissance lente, il est également possible de déterminer le prochain intervalle d’inspection. Pour les fissures à croissance plus rapide et pour les machines ou systèmes critiques, le moteur d’un avion commercial, par exemple, l’intervention est plus rapide. Dans la plupart des cas, cependant, un système (un pont, une voiture ...) a une espérance de vie prédéterminée. « En utilisation quotidienne, le choix d’un renouvellement ou d’une inspection approfondie est donc un peu plus facile. »

Niveau 3 : recherche de défauts

Un troisième niveau d’analyse est celui de l’inspection visant à détecter/trouver les défauts. Les inspections sont spécifiquement programmées pour certaines structures pour de bonnes raisons. Il existe aussi par exemple des dispositions légales. Pensons aux navires, aux ascenseurs ... Mais très souvent, la documentation est minimaliste. « De telles inspections nécessitent beaucoup de temps et d’efforts et sont coûteuses. Souvent, la machine doit être mise hors ligne. Si en outre, l’espoir est d’accroître les intervalles d’inspection et de maintenance, il faut être en mesure de soumettre de bons calculs. À ce moment, des calculs par éléments finis sont utilisés », explique Philippe Thibaux, Technology Manager chez OCAS. Sur la base du design et de la documentation, on définit les points aux charges les plus élevées sur lesquelles l’inspection se concentre ensuite.

« Si le système est moins bien documenté, aux formes plus complexes ... il faut associer les calculs aux propriétés du matériau. La méthode de calcul ne change pas, mais bien le matériau. »

Étude de cas : ponts roulants

Au cours d’un projet dans l’industrie sidérurgique, Ocas mesurait les poutres de ponts roulants. « Les structures sont régulièrement sollicitées par les mouvements des ponts roulants et ont une durée de vie nominale de vingt ans. Une fois cette période passée, ils restent opérationnels, mais le programme de monitoring sera probablement modifié. En effet, chaque inspection a une limite de détection. Il est possible que des défauts ne soient pas visibles », explique Thibaux. Les calculs de mécanique de rupture reposent sur le plus grand défaut non détecté et la croissance attendue de ce défaut pour calculer le moment de criticité du système. « L’intervalle d’inspection est ainsi déterminé. » Dans ce cas, le calcul s’est révélé assez complexe. « Cependant, nous avons vu que nous pouvions simplifier le problème en n’incluant qu’une partie de la poutre dans le calcul xFE (éléments finis étendus) et obtenir ainsi un modèle plus simple », selon Vanderschueren. Le logiciel CrackWise de The Welding Institute (TWI) a été utilisé à cet effet. Comment savoir que l’on ne simplifie pas trop ? « Nous nous concentrions sur un élément où la tension était assez homogène mais critique. » Si cette partie – une poutre en I – défaillerait, toute la structure s’écrouleraient. « Cette partie devait donc également être sûre. Rien d’autre n’était à calculer. »

Analyse et interprétation

Un logiciel ne solutionne pas simplement ce genre de problème. « De nombreuses analyses et interprétations sont nécessaires. Chaque temps de calcul prend du temps et donc de l’argent. » Il est donc à la mode aujourd’hui de faire beaucoup dans le cloud. « Pour le moment, nous exécutons ces calculs sur notre propre serveur. Le cloud est idéal pour les nombreux calculs standard. Pour des calculs plus complexes, il est plus aisé de les exécuter en interne. Il est également devenu moins coûteux de faire les opérations en interne. Les calculs d’envergure et complexes sont coûteux, mais l’on capture in fine un fichier de résultat volumineux qui doit être interprété. Ces données doivent être simplifiées. Donc, les calculs doivent être conçus intelligemment. L’on peut se concentrer sur certains éléments de la structure, dont certains spécifiques et gagner du temps », stipule Thibaux. « Le coût est global. »

Modélisation péridynamique

Récemment apparaissait sur le marché une méthode de test virtuel péridynamique améliorant la modélisation EF en mécanique de rupture. Dans sa formulation, la méthode fait usage de ‘déplacements’ au lieu de ‘dérivées de déplacements’, de sorte que les comparaisons péridynamiques sont partout valides, y compris dans le cas de discontinuités. La méthode fait usage d’une variable d’échelle de longueur – un horizon – par laquelle les comparaisons péridynamiques sont possibles à différentes échelles. Le procédé n’exige pas de traitement spécial de la fissure ni des contraintes discontinues, car la défaillance du matériau est déclenchée par la réponse directe du matériau. Enfin, la méthode ne répond pas aux exigences en matière de largeur de maille dans les modèles de défaillance. Cependant, cette technologie est ‘jeune’. Stewart Silling (Sandia National Laboratories) donnait le coup d’envoi en 2000. Un autre inconvénient de la nouvelle méthode : les coûts informatiques sont de trois à cinq fois plus élevés qu’avec les calculs EF. En outre, il y a peu d’intégration avec les logiciels EF standard.

Les problèmes surviennent avec les éléments finis

« Dans les éléments finis, l’on a un volume – l’élément – et l’on intègre une fonction dans ces éléments sur la base des déplacements des nœuds qui limitent les éléments pour calculer la contrainte au niveau des points d’intégration », explique Thibaux. Il remarque que la méthode péridynamique fait usage des forces aux ‘nœuds’ mais ignore ce qui se passe dans l’élément. « L’avantage est l’éviction des problèmes dans les éléments finis, lors de déplacements importants, par exemple. Nous examinons les éléments critiques. En cas de rupture, il y a une ‘singularité’. Avec des éléments finis, l’on place un ‘maillage’ sur l’élément. Plus le maillage est petit, plus grande les contraintes en proportion. La tension à un angle aigu se déplace à l’infini. Avec une ‘formulation de nœud’, l’on ignore en réalité ce qui se passe dans l’élément et la tension n’est pas remarquée ... La méthode semble intéressante pour les très grandes distorsions, où un maillage EF perd en qualité. Mais cela nécessite également un solveur itératif pour les problèmes quasi-statiques, où un solveur EF résout ce problème en une itération. »

L’importance du logiciel

« Pour une véritable application industrielle, une grande fiabilité et un bon support sont primordiaux. » Les chercheurs trouvent cela presque exclusivement dans les logiciels commerciaux, en l’occurrence chez Dassault et Simulia. Pour les éléments finis, il s’agit du logiciel Abaqus FEA, qui dispose également d’un modèle xFE. « Nous préférons utiliser ces logiciels bien intégrés et les normes de l’industrie dont les clients disposent également, dans une optique d’interactions. L’inclusion de nouveaux types de logiciels nécessite hélas toujours un investissement important. Il n’y a pas que les licences, mais une ou deux personnes doivent grandement s’impliquer avec ce logiciel. Avec un logiciel trop spécifique, utilisé seulement quelques fois par an, la compétence manque et il faut systématiquement tout recommencer à zéro. » Bien qu’Ocas soit à l’avant-garde de la recherche scientifique, il existe une certaine réticence existe face aux nouveaux progiciels. « Parce que la fiabilité est inconnue. Innover est toujours risqué. En outre, les progiciels commerciaux sont tellement bons que trouver mieux est aléatoire », déclare Thibaux. « Abaqus ou Ansys ont également leur réputation et sont de fait à la fois fiables et reproductibles ... Ils ont fait l’objet de tests approfondis, sont bien documentés et offrent du service. »

Par Luc De Smet

Ocas

Aujourd’hui, les experts d’Ocas étudient des tôles d’acier très épaisses et très fines, comprises entre 0,2 et 50 mm. Il s’agit principalement d’aciers au carbone, mais également de combinaisons ou de systèmes hybrides tels que les aciers à revêtement composite épais. « En fonction de l’application proposée par le client », explique Marc. Ocas compte 150 employés. Les activités de recherche ont lieu au siège du port de Gand (Zelzate) mais plus encore à Zwijnaarde. Il s’agit par exemple d’optimisation des alliages, de l’ensemble du processus de coulée jusqu’au laminage, en passant par le recuit. Certes à petite échelle industrielle. « Nous faisons de la recherche et du développement et optimisons l’utilisation de l’acier : soudage, essais de matériaux, simulation d’applications, y compris en termes de maintenance par exemple, et les essais à grande échelle et de validation dans la pratique. » <<