14/11/2025
Mecanicien/mecanicienne d’atelier
Vivaqua
regio Bruxelles
IN THE FIELD
Maintenance Magazine 141 – septembre 2018
Lubrifier sans huile
« Au début, nous étions intéressés par les lubrifiants. Par la suite, nous avons cherché comment les supprimer », raconte le professeur Patrick De Baets, directeur du Laboratoire Soete à la faculté des Sciences de l’Ingénieur et d’Architecture, Université de Gand. « Les huiles de lubrification restent nécessaires pour les vitesses et pressions de contact élevées, mais à vitesse lente des polymères autolubrifiants sont utilisables. »
Pour lubrifier sans huile, deux filières : soit un polymère homogène, par exemple, un nylon, soit un mélange, nylon et Teflon. « Ce mélange est adéquat contre le frottement, mais beaucoup moins contre l’usure. Pour compenser, on peut renforcer avec des fibres de plastique ou de verre. » Surtout les thermoplastiques sont utilisés comme lubrifiant. Les polymères thermodurcissables sont plutôt utilisés pour les applications de structure. Le professeur De Baets constate néanmoins que toujours plus d’essais portent sur des matériaux thermodurcissables dans les applications antifriction. « Cela peut fonctionner à condition de les rendre glissants par ajout de poudres, fibres ou nanoparticules. »
Lorsqu’il fait de la recherche sur les lubrifiants « secs », le professeur De Baets est dans son univers. « Nous excellons dans les essais à grande échelle, pour les constructions mécaniques lourdes. » Le labo a réalisé des études, notamment, pour le Maeslantkering, pour le barrage de Saint-Pétersbourg, la grande roue panoramique à Dubaï et la Rotating Tower, également à Dubaï.
Maeslantkering
Le barrage anti-tempête qui protège le port de Rotterdam contre la montée des eaux était déjà construit lorsque la Rijkswaterstaat (agence exécutive du ministère néerlandais de l’Équipement) a pris contact en 2006 pour une solution de secours. Le Maeslantkering est une digue mobile formée de deux portes semi-circulaires en acier (hauteur 22 m, longueur 210 m). Les points d’articulation mesurent 10 m pour un poids de 680 tonnes. Cette charnière fonctionne à la manière de l’articulation d’une épaule et doit résister à une pression de 70.000 tonnes. La partie sphérique se déplace sur 10 coussinets. Le lubrifiant, à l’origine, était un vernis de glissement au MoS2 avec émulsion PTFE. Pendant la phase de conception, le matériau contenait des CFC, entretemps proscrits. Il avait donc fallu développer une solution alternative. Le vernis de rechange avait un remarquable coefficient de frottement (0,1), mais il fallait en remettre une couche à chaque fois. « Après chaque opération de fermeture du barrage, les coussinets s’étaient usés de plusieurs millimètres », explique De Baets, appelé à la rescousse quelques années après la mise en service en 1997.
« C’était inévitable », précise De Baets. « Les solutions éprouvées sont bronze-acier et graisse lubrifiante, avec un plan contraignant de maintenance périodique. On peut envisager d’automatiser, mais cela génère de la complexité et un risque de panne, qu’il faut éviter absolument. » Pour le Maeslantkering, un retour à l’âge du Bronze n’était pas souhaité, il a donc fallu chercher une autre solution.
Nouvelle conception
« Nous avons dû revoir le concept. La principale spécification était le coefficient de frottement, à maintenir sous 0,15. Sinon, la base en béton n’aurait pas tenu en place. » La fondation triangulaire (côté 70 mètres, hauteur
7 m) pesait quelque 52.000 tonnes. Le laboratoire Soete a présenté une toute autre solution. Aujourd’hui, on utilise quelque 500 disques en UHMW-PE (Ultra High Molecular Weight Polyethylen), un polymère économique d’un poids moléculaire élevé. Chaque disque mesure 25 cm et s’insère dans un logement percé dans les coussinets. Lorsqu’un disque est cassé, il suffit de le remplacer. « Nous avons choisi un polymère qui servirait de lubrifiant », explique De Baets. Il existait déjà des applications à 10 MPa (10.000.000 Pascal). « Mais dans notre cas, il s’agissait de 150 et 200 Mpa. Sous une telle pression, le disque en plastique devient ‘liquide’ et se déboîte. Les disques ont été cerclés d’un anneau en fibres de carbone. » Chaque disque maintenu dans son logement par un joint torique en caoutchouc.
« Il ne s’agit pas vraiment d’une nouvelle technologie », relativise De Baets, « mais le nouveau design a permis de l’appliquer dans un domaine de forces beaucoup plus vaste. » Les propriétés antifriction du PE sont d’autant meilleures que la pression augmente. « Contre le frottement, c’est un avantage, mais pour tout le reste c’est un inconvénient. » L’usure, par exemple… « Pour cela, nous avons ajouté une bonne dose de carbone. »
Usure
La digue mobile Maeslantkering n’a été utilisée que deux fois en service opérationnel, lors d’une tempête en 2007, et cette année en janvier. Néanmoins, un essai de vérification est réalisé annuellement. « L’usure du matériau antifriction (les disques PE), a lieu de manière contrôlée. L’anneau de carbone autour de chaque disque est revêtu de PE pour éviter l’usure. « Le matériau du disque est blanc, l’anneau en carbone noir. Lorsqu’un disque noircit sur les bords, le moment est venu de le remplacer. » Leur durée de vie est limitée. Sur base des fermetures planifiées et des statistiques météo, De Baets évalue cette durée à dix ans. L’agence responsable du Maeslantkering était disposée à accepter un remplacement des disques après cinq années. Après chaque fermeture de la digue mobile, l’usure est vérifiée. <<
Par Luc De Smet
Acceptation des solutions alternatives
Si la solution PE a été mise à l’essai, selon De Baets, c’est que la Rijkswaterstaat avait déjà beaucoup d’expérience avec les coussinets PE. En Belgique, on voit parfois que des galets en acier servent à compenser la dilatation thermique des ponts. Aux Pays-Bas, on utilise des coussinets PE. « C’est pourquoi on ne souhaite pas des polymères encore plus avancés. Faudrait-il les intégrer a priori dans un nouveau concept ? Je pense que non », estime De Baets, « néanmoins il s’est avéré que c’était une bonne solution pour la problématique qui s’est présentée. »
Ce type de paliers de glissement n’est pas encore instrumenté, note De Baets. « Nous pensons plutôt à des contacts ouverts pour le contrôle visuel, par caméras USB, dont les images numériques seraient interprétées par des systèmes experts. Mesurer le frottement avec des capteurs ? Nous y avons pensé également, mais les nombreux mécanismes de défaillance vont générer beaucoup d’interférences. »
Entretemps, les producteurs font certifier leurs matériaux. « Les spécifications de la Rijkswaterstaat étaient très strictes. Même les livraisons du fournisseur attitré sont contrôlées à chaque fois. On sait que la qualité peut fluctuer », explique De Baets.
« Nous souhaitons également davantage de temps pour étudier et comprendre les mécanismes », selon De Baets. Travailler pour l’industrie, c’est toujours une course contre la montre. De Baets précise que l’usure des plastiques suit une courbe typique : d’abord très rapide, ensuite stabilisation, et à partir d’un certain moment, l’usure grimpe en flèche. « Où se situe exactement le point de transition, cela reste à découvrir… »



