GESTION  
Maintenance Magazine 153 – septembre 2021

Mise en commun et partage de pièces de rechange

Fin décembre, l’armée de l’air belge réceptionnait le premier des sept Airbus A400 M pour le transport militaire. Un avion qui a fait ses preuves lors des évacuations en Afghanistan en août. Pour la maintenance, Airbus a signé un contrat A400M Global Support Step 2 avec OCCAR (Organisation for Joint Armament Co-operation) qui gère le programme de services : l’assistance au sol et la navigabilité jusqu’à la maintenance et l’approvisionnement. Ces services intégrés reposent sur la mise en commun et le partage de ressources et d’actifs. Un principe qui peut représenter une plus-value pour d’autres activités de maintenance. Nous avons rencontré dr. ir. Rob Basten et dr. ir. Loe Schlicher, tous deux actifs à l’Université technique d’Eindhoven.

Par Valérie Couplez

La mise en commun et le partage signifient que des entreprises ou des organisations conservent un stock de pièces de rechange ensemble. Ce concept a suscité de nombreuses polémiques il y a quelques années et a peu été déployé dans la pratique. « C’est pourtant un concept intéressant car toutes les parties y trouvent leur compte » lance Rob Basten. En tant que chargé de cours à la TU/e, il se consacre aux services après-vente d’installations de haute technologie : directives en maintenance et optimisation, gestion des pièces de rechange et conception d’une chaîne d’approvisionnement pour les services après-vente. « Les exemples les plus réussis viennent de l’aviation. Fokker gère par exemple une partie de ses pièces de rechange dans un pool. Bien que ce ne soit pas une mise en commun totale. Une partie centrale, régulatrice, tient le stock tandis que les autres parties paient pour être autorisées à effectuer des prélèvements. »

Facteurs facilitants

Que la mise en commun et la partage viennent de l’aviation n’a rien d’étonnant. « La certification et la normalisation y sont cruciales. Chaque pièce est réalisée selon des procédures strictes et des monteurs certifiés doivent les monter. De plus, les pièces de rechange d’avions ont leur prix. Tous ces facteurs favorisent la mise en commun et le partage. » Ce peut être intéressant pour d’autres entreprises. Basten pointe quelques facteurs pouvant renforcer les arguments en faveur de la mise en commun et du partage. « Comme déjà dit, le prix d’une pièce de rechange joue un rôle. Mais ce n’est pas le seul critère. S’il s’agit de pièces critiques dont le temps de production est long ou dont le transport coûte cher, son prix peut être compensé. A côté de cela, la demande d’une pièce de rechange ne peut pas être trop élevée. Pour bien régler cela entre les parties, il est utile d’avoir une proximité géographique et d’être à peu près de la même taille. La collaboration sera idéale entre les entreprises qui ne sont pas concurrentes dans leur cœur de métier. »


La théorie des jeux coopératifs: tout le monde y gagne

A la base de la mise en commun et du partage des pièces de rechange se trouve la théorie des jeux coopératifs. Le chargé de cours universitaire Loe Schlicher a finalisé sa thèse en 2017 et appliqué le concept à ProRail, responsable du réseau ferroviaire aux Pays-Bas. Le point de départ était d’étudier si une collaboration stable entre les sous-traitants de ProRail était possible par la mise en commun et le partage d’actifs. Il s’agissait notamment de la mise en commun de bourreuses pour le compactage des voies. Ces machines sont coûteuses et connaissent pas mal de pannes. En outre, l’étude s’est concentrée sur le stockage des pièces de rechange et l’organisation de navettes prêtes à partir en cas de problème. Schlicher: « Les coûts liés à un stock partagé sont inférieurs à ceux d’un stock individuel. Il est donc plus intelligent d’opter pour le partage d’actifs. Ma tâche a consisté à trouver des clés de répartition équitables pour obtenir une collaboration intelligente. La première condition est que tout le monde doit être gagnant. Les coûts ne peuvent pas être plus élevés pour certaines parties dans le statu quo. La seconde condition est que le rendement est meilleur lorsque toutes les parties travaillent ensemble et non certaines entre elles. Si par exemple quatre parties participent, aucun groupe de deux ou de trois parties ne peut protester la répartition des coûts parce qu’elles pourraient mieux s’organiser à deux ou à trois. Plus il y a de parties, plus il y a de conditions et plus l’analyse est complexe. »

Appliqué au rail néerlandais

Schlicher a démontré qu’il existe des clés de répartition équitables pour différents concepts de partenariats (c’est-à-dire des clés qui ne provoquent aucune protestation d’un groupe de parties). Les perspectives de ces clés sont un point de départ pour les discussions entre les sous-traitants. Lors d’entretiens avec les entrepreneurs, Schlicher en a conclus qu’ils sont réticents à l’idée de travailler ensemble. Bien qu’il y a un profit (équitable) pour chacun, ils craignent que la concurrence n’apprenne des informations d’exploitation précieuses par la collaboration.

Surmonter les obstacles

Quels sont les obstacles qui limitent la mise en commun et le partage à quelques exemples isolés ? « Cela ne peut pas venir des coûts », assure Basten. « Avec la théorie des jeux, vous pouvez démontrer noir sur blanc que dans une situation où vous pouvez économiser de l’argent, cet argent peut être réparti équitablement entre les parties. L’étude n’a pas permis de savoir exactement ce qu’il se passe. Je pense que ce peut être attribué au sentiment d’incertitude. Vous n’avez plus le contrôle et vous devez vous fier au fait que la qualité et la disponibilité sont garanties. Car vous pouvez être malchanceux si une des parties rencontre une panne similaire à la vôtre au même moment et a besoin de la pièce. Cet arrêt en interne est difficilement vendable. » D’après Schlicher, les entreprises craignent aussi qu’un tiers tire profit de la collaboration. « Elles ne veulent pas aider un concurrent à optimiser ses processus. Voilà pourquoi la mise en commun fonctionne mieux s’il n’y a pas d’effet direct sur la cuisine interne d’une entreprise. Nous pouvons résoudre cela en travaillant avec une partie indépendante, une partenaire de confiance qui assure la collecte et le retour d’information. Si nous voulons devenir plus durables, il faut alors envisager davantage ce type de partenariats. Ils sont rentables dans tous les domaines », conclut Schlicher.