IN THE FIELD  
Maintenance Magazine 147 – mars 2020

Inspection des équipements sous pression par émission acoustique (partie 5 - fin)

Dans les trois premiers épisodes de cette série, André Viaud a d’abord souligné les défis de l’exploitation des données d’inspection acoustique des équipements sous pression. Il a ensuite esquissé l’interaction entre analyse, interprétation et classification dans les référentiels existants pour ensuite élaborer sur le signal acoustique luimême, les salves et les sources. Il examine maintenant la reconstruction de la source et montre des voies à progresser.

Par André Viaud, ingénieur gérant d’Anvixed sarl

Pour une source physique d’émission acoustique donnée, généralement et c’est le cas dans le contrôle des ESP, une partie seulement des événements est localisée sur la structure. Les événements localisés sont ceux dont l’énergie est suffisante pour que l’onde générée associée atteigne au moins trois capteurs (localisation par triangulation hyperbolique). La problématique de reconstitution de la source se pose alors à deux niveaux :

  • Correction d’activité : on ne vise qu’à ajouter l’activité « cachée » qui correspond aux événements non localisés.
  • Correction matricielle : on veut associer à l’activité cachée retrouvée les attributs des événements (amplitude, durée ...) Dans le premier cas, en se basant sur la distribution statistique d’amplitude des événements localisés, on peut souvent extrapoler l’activité avec une bonne approximation.

Dans le premier cas, en se basant sur la distribution statistique d’amplitude des événements localisés, on peut souvent extrapoler l’activité avec une bonne approximation. Dans le second cas, il faut comparer la « signature acoustique » de la source (telle qu’on la perçoit avec les seuls événements localisés) et la signature acoustique des événements de la ‘zone’ qui englobe la source (périmètre autour d’un capteur correspondant aux événements détectés mais non localisés). On conçoit que pour une telle tâche, il faut mobiliser des outils avancés.

Répresentation matricielle duale d’une source

Ce qui précède conduit à représenter systématiquement une source par deux matrices : une physique et une analytique (sous réserve que cette dernière réponde à des critères de validation). Ces deux matrices font ‘voir’ la source sous deux aspects. C’est un peu quand, pour améliorer la vue d’un paysage, on prend deux photos sous des angles différents (stéréoscopie). Ces matrices ‘duales’ certes ne sont pas indépendantes (ou décorrélées) du fait qu’elles naissent du même phénomène physique, mais on apporte ainsi un supplément d’information.

Mobilisation de l’ensemble des outils

Les progrès dans l’exploration opérationnelle des données EA du contrôle des appareils à pression passent nécessairement par l’analyse statistique et l’analyse matricielle (factorielle) avancée. Cette dernière représente le plus gros challenge car elle demande à mobiliser des ressources mathématiques comme l’analyse en composantes principales (ACP), outil qui reste délicat à bien appréhender. Rappelons que l’ACP procède en élaborant, selon des règles mathématiques précises, des combinaisons linéaires des descripteurs appelées composantes principales notées F1, F2, F3, Fn, et qui sont décorrélées. Il est souvent difficile de donner un sens physique à ces composantes, mais chacune à sa manière synthétise les caractères de l’événement d’émission acoustique (pris sur la 1ère salve reçue, autrement dit sur le signal recueilli par le 1er capteur atteint). Elles permettent de regrouper les événements acoustiques ayant des propriétés communes, en d’autres termes corrélés uniquement du fait des mécanismes source générés dans les parois de l’équipement contrôlé. Appliquée aux matrices duales, l’ACP devrait fournir des résultats intéressants et apporter des avancées à la connaissance de l’activité totale d’une source d’émission acoustique en facilitant l’extraction dans celleci des événements (Ev1 et Ev2) qui lui appartiennent mais non localisables hyperboliquement (seulement un ou deux capteurs atteints par l’onde issue de l’événement).

Exigences pour la mobilisations des outils avances

Pour standardiser la mise en œuvre d’outils avancés (tels que NOESIS, XLSTAT, MATLAB ...) en contrôle EA, et c’est là une différence majeure avec d’autres méthodes de contrôle non destructif, on doit maîtriser un grand nombre de paramètres. Cela concerne en premier lieu l’acquisition des données. Les valeurs de seuil d’acquisition par exemple conditionnement grandement l’activité acoustique. Ce point est critique car il impacte le fichier de données brutes, sans possibilité de ‘revenir en arrière’, sauf à refaire le contrôle, ce qui pose certains problèmes liés à l’effet mémoire (sans parler de l’aspect économique et logistique !). En second lieu, il faut que les étapes de la procédure de traitement des données soient clairement identifiées et paramétrées selon des règles communes. En effet, il ne sert à rien de mobiliser des outils performants, si on n’a pas la certitude que les différents prestataires arrivent aux mêmes conclusions sur des matrices de signauxtype identiques. Le déroulé général du traitement devrait débuter par un preprocessing visant à isoler les artefacts et signaux indésirables puis générer un fichier expurgé ne comportant que les données représentatives de l’activité acoustique réelle émise par l’ESP sous la sollicitation (cycle de pression). Il y a donc là une somme d’exigences intimement liées à l’application d’outils d’analyse puissants. Un autre aspect concerne la capacité des logiciels disponibles à traiter les données ‘au fil de l’eau’ et afficher en temps réel l’évolution des résultats. La question est d’intérêt du point de vue de la réactivité de l’opérateur qui doit pouvoir prendre une décision immédiate en cas de détection d’une indication cumulative d’activité acoustique faisant suspecter un mécanisme de ruine immédiat, mettant en danger la stabilité de la structure en cours de contrôle. L’approche par une fonction caractéristique de la salve demande un système EA suffisamment puissant qui, en temps réel, à partir des transitoires, en sus de l’extraction des descripteurs classiques, doit effectuer les régressions et la détermination des coefficients de cette fonction.

Interprétation et classification des résultats

L’interprétation avancée des résultats devra tenir compte des visions apportées par les quattre outils généraux d’analyse et mettre en œuvre une ‘fusion des données’. Mais cela requiert une base de données en cohérence avec cette logique, donc établie avec les quattre outils. Cette base de données requiert la contribution de tous les acteurs de la filière avec la mise en commun, sans arrièrepensée, de savoirfaire souvent considéré par eux comme éléments importants et confidentiels de leur expertise. Dans une étape ultérieure, une automatisation de l’interprétation pourra voir le jour avec la ‘reconnaissance de forme supervisée’. La classification basée sur l’analyse matricielle avancée devra requérir des outils spécialisés tels que les ‘k plus proches voisins’.

Conclusion

Nous avons esquissé ici des pistes de progrès qui demandent bien sûr à être expérimentées d’une manière approfondie, mais nous avons voulu surtout faire toucher du doigt l’importance (et l’urgence !) du besoin, car il en va de la sûreté d’exploitation des appareils à pression et de la sécurité des personnes et des biens. Malgré un développement constant dans l’industrie depuis plusieurs dizaines d’années maintenant, le contrôle par émission acoustique des appareils à pression doit relever un défi important, principalement pour le traitement des données, s’il veut faire bénéficier les utilisateurs de tout son potentiel.

Références :

  • André VIAUD « Contrôles non destructifs – Emission acoustique – Repères pour l’application aux équipements sous pression métalliques » (The Book Edition 2017)
  • Cécile GUEUDRE et Gilles CORNELOUP : « Le contrôle non destructif et la contrôlabilité des matériaux et des structures. » (Presses Polytechniques et Universitaires Romandes 2016)
  • Non-Destructive Testing Handbook – Volume 6 - Acoustic Emission Testing (ASNT)